La restauration forestière : pourquoi c’est important à l’ère des changements globaux? 

Nos forêts sont de plus en plus affectées par les humeurs changeantes de dame nature et par des champignons pathogènes, des insectes et de plantes venus d’ailleurs. Tornade, derecho, sécheresse, feux, verglas, agrile du frêne, maladie hollandaise de l’orme, maladie corticale du hêtre, chancre du noyer cendré, envahissement par le nerprun sont autant de menaces pour l’intégrité de nos forêts. Et dans plusieurs régions, la surabondance du cerf de Virginie nuit à la régénération de la plupart des arbres feuillus, du thuya, de la pruche et même du pin blanc. Afin de maintenir nos forêts en santé et de les rendre plus résilientes face à ces stress multiples, il est possible d’intervenir pour favoriser leur restauration.     

         

Qu’est-ce que la restauration forestière? 

La restauration forestière constitue un ensemble d’actions visant à accélérer le rétablissement de la structure forestière, des processus écologiques et de la biodiversité à la suite d’une perturbation ou d’une dégradation d’origine humaine ou naturelle. Les facteurs qui peuvent perturber ou dégrader les forêts sont multiples : surexploitation, conversion en terres cultivables, urbanisation, épidémies d’insectes ravageurs, maladies fongiques, introduction d’espèces invasives, surabondance des cervidés, événements climatiques extrêmes, etc.  

Plusieurs actions peuvent être entreprises afin de restaurer la forêt. Par exemple, on peut boiser des friches, des zones riveraines agricoles, des emprises routières ou d’anciens sites miniers. Dans les forêts dégradées (appauvries en espèces), on peut réaliser des plantations d’arbres en sous-bois pour augmenter la biodiversité. Il est également possible d’abattre certaines espèces d’arbres pour favoriser la régénération d’espèces moins abondantes ou pour ajouter du bois mort au sol. L’éradication ou le contrôle d’espèces végétales exotiques envahissantes figure aussi parmi les stratégies de restauration forestière. D’ailleurs, au Parc national d’Oka, un contrôle important du nerprun cathartique et du nerprun bourdaine est réalisé pour contenir les populations de ces deux arbrisseaux eurasiens qui envahissent de plus en plus les boisés du sud du Québec.  

Projet de restauration forestière en bordure du P’tit train du Nord et de la rivière du Nord à Val-David. Plusieurs espèces ont été plantées (pin blanc, pin rouge, épinette blanche, mélèze laricin et chêne blanc) alors que d’autres ont colonisé naturellement le milieu (thuya, aubépine, cerisier, bleuet, etc.).  
Le nerprun bourdaine, un arbrisseau exotique envahissant provenant de l’Eurasie, a la capacité d’envahir les sous-bois et de nuire à la régénération forestière. La photo de droite montre les fruits du nerprun bourdaine à différents stades de maturité.

Dans d’autres circonstances, la restauration forestière n’implique pas des interventions directes sur la végétation, mais plutôt sur la faune. La réintroduction du loup en 1995 dans le Parc national de Yellowstone aux États-Unis en est un bel exemple. En l’absence du loup qui avait été exterminé de la région dans les années 1920, la population de wapitis a augmenté rapidement si bien que les peuplements de peupliers faux-trembles et de saules avaient du mal à se régénérer en raison de la trop forte pression de broutage. Ainsi, en réintroduisant le principal prédateur du wapiti, la population de ce dernier a pu décroître sous des seuils permettant aux trembles, aux saules et à la faune associée à ces arbres, de se rétablir. Sur l’île d’Anticosti où 200 cerfs de Virginie avaient été introduits en 1896, pratiquement aucun arbre n’arrive à repousser depuis des années en raison du broutage excessif par la population de cerf qui a culminé à environ 200 000 individus. Pour redonner vie à la forêt, il aura été nécessaire de clôturer certains secteurs afin d’en exclure le cerf.          

Un projet pilote de plantation de restauration au Parc régional de Val-David / Val-Morin après le derecho    

Le derecho du 21 mai 2022 a fortement ébranlé plusieurs communautés dans les Laurentides. En fonction des dommages observés, des rafales de l’ordre de 190 km/h ont été estimées en lien avec ce rare phénomène météorologique. Nombreux sont ceux qui ont vu leurs arbres matures cassés ou déracinés par les vents violents. Les dommages matériels ont été considérables et certains paysages forestiers, notamment dans le Parc régional Val-David / Val-Morin, ont été dévastés.    

Toutefois, ce désastre naturel constitue une opportunité unique pour réaliser des plantations de restauration en forêt. Les nombreuses trouées forestières créées par le derecho sont en effet des sites propices pour restaurer certaines espèces d’arbres nécessitant d’importantes ouvertures dans le couvert forestier partiel pour croître optimalement. Parmi ces espèces, on retrouve le chêne rouge et le pin blanc, deux espèces historiquement plus abondantes qui ont décliné en raison du contrôle des feux de forêt exercé par l’humain et de la surexploitation forestière. Ces deux espèces ont aussi une bonne tolérance à la sécheresse. Elles sont donc bien adaptées pour faire face aux sécheresses estivales de plus en plus communes. Bref, chêne rouge et pin blanc ont un bon potentiel pour améliorer la résilience des forêts du parc régional dans ce contexte d’incertitudes climatiques.   

Le derecho a créé d’importantes trouées dans le couvert forestier du parc régional. Une plantation de restauration avec du pin blanc et du chêne rouge a été réalisée dans certaines de ces trouées.     

Or, bien que le derecho ait créé des sites favorables pour restaurer certaines espèces d’arbres, un animal emblématique des Laurentides pourrait venir compliquer la situation : le cerf de Virginie. Au parc régional comme dans plusieurs autres secteurs des Laurentides, le cerf est devenu surabondant. Ainsi, les jeunes arbres feuillus se font brouter continuellement par les cervidés, ce qui les empêche de recoloniser en abondance les milieux forestiers. Cette situation est particulièrement inquiétante pour l’avenir de nos forêts décidues du fait qu’elles pourraient tranquillement s’enrésiner faute de régénération feuillue en sous-bois. Par conséquent, il ne suffit plus de planter des chênes ou autres feuillus nobles dans des environnements favorables comme les trouées forestières, il faut également les protéger adéquatement des cervidés. 

Lorsque le cerf de Virginie est trop abondant, il est nécessaire de protéger pendant quelques années les jeunes arbres feuillus après la plantation.  

Au début de juin 2023, Éco-corridors laurentiens en partenariat avec le Parc régional Val-David / Val-Morin a procédé à la plantation de 200 chênes rouges et de 100 pins blancs dans différents secteurs du parc où le derecho a créé d’importantes trouées forestières. Dans ce projet de restauration et d’adaptation aux changements climatiques et globaux, la moitié des chênes rouges a été protégée avec des protecteurs anti-cervidés afin de vérifier si cette mesure était nécessaire pour régénérer le chêne.  

Ce projet de restauration a bénéficié d’un important partenariat entre Éco-corridors laurentiens et l’équipe du Parc régional (secteur Val-David) ainsi que d’une subvention de la MRC des Laurentides. 

Fin août 2023, nous avons procédé à une évaluation de la survie et du broutage par le cerf sur les arbres plantés et déjà les résultats sont frappants. Tous les chênes bénéficiant d’un protecteur anti-cervidé sont en vie et affichent une bonne croissance. Les chênes non protégés sont également tous en vie, mais sur la moitié d’entre eux on observe des traces de broutage, parfois très sévères. Pour le moment, les chênes ayant échappé aux cerfs sont principalement localisés dans les secteurs encombrés de débris ligneux, en pente ou dominés par un dense couvert de verge d’or ou de fougère. Avec la mort du couvert herbacé qui surviendra avec le gel automnal, on doit donc s’attendre à ce que d’autres chênes non protégés se fassent brouter. Pour ce qui est du pin blanc, les résultats sont également encourageants avec un taux de survie frôlant les 100%. Reste à voir si le pin blanc ne sera pas au menu du cerf au cours de l’automne et de l’hiver, malgré sa faible qualité nutritionnelle.    

Trois mois après la plantation, les chênes rouges protégés du cerf et les pins blancs avaient une bonne croissance. Plusieurs chênes non protégés ont été sévèrement broutés par les cerfs, particulièrement ceux plantés à découvert le long des sentiers, alors que certains ont été épargnés du fait qu’ils étaient moins accessibles.   

Au cours des prochaines années, un suivi du projet sera nécessaire pour s’assurer que les arbres plantés se développent bien. Chaque année, il faudra veiller à ce que les protecteurs anti-cervidés demeurent bien en place avec le gel-dégel et que la pousse terminale de chaque chêne demeure dans son protecteur. Il faudra éventuellement surélever les protecteurs jusqu’à une hauteur d’environ 2 m pour maintenir les chênes hors de portée des cerfs, particulièrement à la fin de l’hiver alors que le couvert de neige durci donne accès à des pousses d’arbres en hauteur. Par ailleurs, il faudra s’assurer que les pousses d’arbres naturelles et les arbres matures présents dans les trouées reboisées ne gênent pas la croissance des chênes et des pins plantés. Toutes ces interventions nécessiteront beaucoup de main-d’œuvre et c’est pour cette raison qu’il faut résister à la tentation de planter plus d’arbres que ce dont on peut s’occuper.              

Enfin, soulignons que ce projet de restauration a contribué à l’économie circulaire de la région. Une bonne partie du matériel utilisé pour la confection des protecteurs anti-cervidés a été fourni par la Recyclerie des matériaux de Ste-Agathe. De plus, une fois que les protecteurs anti-cervidés pourront être retirés, alors que les chênes auront environ 2 m de hauteur, tout le matériel pourra être réutilisé pour protéger d’autres arbres au parc régional.         

La restauration forestière : c’est l’affaire de tous les propriétaires terriens! 

Que vous soyez propriétaire d’une maison de campagne sur un petit terrain, d’un chalet sur le bord d’un lac ou d’un grand lot boisé, vous pouvez contribuer à restaurer la forêt et améliorer sa résilience face aux changements globaux en la diversifiant. Pour ce faire, vous pouvez planter des espèces devenues plus rares dans les forêts laurentiennes notamment le tilleul d’Amérique, la pruche du Canada, le pin blanc, le chêne rouge, le chêne blanc, le chêne à gros fruits, le caryer ovale et le caryer cordiforme. Le secret de la réussite : planter le bon arbre au bon endroit, selon l’ensoleillement, la qualité du sol et le drainage du site, le protéger de la faune si nécessaire et être patient! Un guide technique sera bientôt produit par Éco-corridors laurentiens afin de vous guider dans votre projet de restauration qu’il soit de petite ou de grande envergure.   

De gauche à droite : chêne à gros fruits, chêne rouge et tilleul d’Amérique plantés à partir de semis sur des terrains résidentiels à Val-David.  

Pour en savoir plus 

Julien Fortier, Ph.D. 

Chargé de projets et chercheur en agroforesterie 

Éco-corridors laurentiens 

julien.fortier@ecocorridorslaurentiens.org 

819-322-5405 

Remerciements 

Cet article a été produit grâce au soutien financier de la MRC des Laurentides dans le cadre du Fonds régions et ruralité (FRR). Merci également à l’équipe du Parc régional de Val-David / Val-Morin (Secteur Dufresne) pour son appui majeur au projet pilote de plantation de restauration post-derecho dans le parc régional, au MRNF pour les plants de pin blanc et de chêne rouge et à la Recyclerie des matériaux de Ste-Agathe pour avoir fourni une partie du matériel utilisé pour les protecteurs anti-cervidés.